vendredi 29 août 2008

Encyclopédie contre encyclopédistes

Comme nous l'avons vu dans le dernier billet, les chances de Poppy de sortir indemne de l'arbitrage lancé contre lui sont faibles, ce essentiellement pour des raisons de dynamique interne au Comité: celle-ci sanctionne moins la faute de jugement que la faute politique - chose que les arbitres ont déjà implicitement confirmée en refusant d'examiner l'arbitrage-miroir contre Moez. Le cas Moez, Maloq - Poppy, orienté en partie par les plaignants autour du comportement général de Poppy est, lui, accepté. On tire, en gros, sur le messager1 et on évite en passant les questions un peu compliquées.

Et pourtant.

J'espère sincèrement que les arbitres trouveront une solution pertinente à tout ça, plutôt que d'attendre patiemment que la baudruche se dégonfle toute seule. Une ligne doit être tracée dans la gestion des bannissements et problèmes comportementaux, parce que le corps des admins a montré son incapacité à déterminer où celle-ci se trouvait: le fait qu'on en arrive à un arbitrage démontre bien l'absence de consensus - à plus forte raison s'il y a trois arbitrages.

Mais quelles seraient, me demanderez vous, les conséquences pratiques d'une confirmation du geste de Moez?
  1. Si les arbitres confirment que les admins peuvent décider seuls d'un bannissement en l'absence de dégradation formelle du contenu encyclopédique (vandalisme, essentiellement), ils signifient par là que ces derniers ont une compétence et/ou légitimité égale à la leur pour régler des cas moraux - et plus vite que le Comité, en plus. Dès lors, à quoi sert le CAr? A rien. Si le CAr ne sert à rien, comment attirer de nouveaux candidats arbitres? Et si le corps des arbitres ne se renouvelle pas2, qui décidera des désysopages lors du prochain problème causé par un admin? Verra-t-on réinstituer le bon vieux système du pilori désysopage communautaire? Pourquoi pas après tout, il n'est écrit nulle par que le modèle de l'ArbCom anglophone doit fonctionner partout.
  2. S'il confirme qu'un désysopage peut être décidé à la majorité simple, c'est l'acceptation du fait que la discussion compte désormais beaucoup moins que le nombre d'affinités ponctuelles que l'ont peut attirer derrière soi, et le plus vite possible: j'exagère à peine en disant que c'est celui qui aura la plus grande3 et la sortira la plus vite qui gagnera. Ca a toujours été une tendance, on ne peut l'éviter, mais l'un des rares avantages à la lenteur d'un Comité d'arbitrage c'est que les arbitres sont au moins censés éplucher les historiques pour s'assurer des torts respectifs.
  3. Et là est selon moi le point le plus problématique, en fait. Accepter le principe du bannissement pour cause de critique dure et pointilleuse, mais argumentée, consacre le sacrifice du contenu encyclopédique à la sacro-sainte ambiance, qui en dépit de toutes les politiques anti-gros mots n'a jamais parue aussi lourde. La vie communautaire prend le pas sur la qualité du travail qu'elle est censée assurer. Soyons sérieux: l'"espérance de vie" moyenne actuelle d'un wikipédien est entre 2 et 4 ans. Les gens partent, c'est un processus normal. Partir parce qu'une bête étoile (et je me sens d'autant plus à l'aise de le dire que je l'ai faite et la fait encore, la course aux étoiles) est refusée ou perdue, c'est défendre son amour-propre plus que le contenu. Si la critique est isolée ou confine au harcèlement, on peut raisonnablement l'ignorer (et à ce moment imposer un retrait de bandeau d'une manière ferme, ou demander au Comité d'Arbitrage d'intervenir - le cas Aliesin précisément). Il me semble que Wikipédia revendique la critique; ça pourrait même être son slogan: "Si quelque chose ne va pas dans un article, dites le4".
Bon, ce n'est pas non plus la chute de la civilisation occidentale: les points 1 et 2 constituent simplement de nouvelles réalités auxquelles il faudra s'adapter et, en ce qui concerne le point 3, son impact reste très limité: il suffira d'attendre que son auteur principal parte naturellement pour que l'article soit repris.



1: Le plus ironique c'est quand même que Poppy aura voulu donner la primauté au Comité d'Arbitrage. D'où la photo de l'USS Liberty pour illuster ce potentiel tir (in)amical.
2: Avec 2 candidatures en 5 jours, alors qu'aux dernières élections il y a en a avait déjà 6 (et 4 en plein août 2007), on peut encore considérer ça comme un faux départ, mais c'est pas gagné.
3: Éloquence ou bande de copains.
4: Et, idéalement, corrigez le, mais ça n'est même pas obligatoire. Sinon personne ne se serait cassé la tête à corriger les erreurs relevées par Nature en 2005; on aurait juste bloqué l'IP du journal.

mardi 26 août 2008

Théorie des Jeux

Quelques petites explications avant de passer au schéma ci-dessous. J'avais prévu dans le billet précédent de commencer par décrire pourquoi les questions importantes posées par les trois arbitrages en cours l'étaient, puis d'embrayer sur les raisons qui pousseraient certainement les membres du Comité d'Arbitrage (CAr) à voir les choses autrement; le tout pour conclure en prenant un peu de recul sur tout ça, histoire de montrer que les petits psychodrames, même entre admins, ne sont que ça: de petits psychodrames. Sauf que l'actualité allant un peu plus vite que prévu, je me dois d'intervertir les posts 1 et 2, juste pour m'assurer que si je devais avoir raison, ce ne serait pas a posteriori.

Lorsqu'on approche la finalité de l'arbitrage du point de vue d'un arbitre (je ne le suis pas mais ça ne m'empêche pas de m'y imaginer), les questions posées sont beaucoup plus complexes que je ne semblais vouloir l'indiquer hier: rentre en ligne de compte la vision qu'ont les arbitres de leur tâche. Celle-ci, comme le dit par exemple Gdgourou dans sa candidature peut être "de protéger les membres de la communauté des comportements de contributeurs ayant perdu de vue les principes fondateurs". Comme il l'indique par la suite, il existe donc une dimension morale à l'action du Comité, à l'opposition de celle purement technique (ou supposée telle) des admins. Ce n'est pas forcément la vision de tous (pas celle de PoM en tout cas), mais comme le CAr ne peut traditionnellement se prononcer sur le fond des débats il ne lui reste effectivement pour mission principale que d'être le garant ultime de la paix du ménage wikipédien.

Ce premier jalon posé, on peut logiquement déduire que l'un des buts du CAr est de minimiser l'impact d'un conflit sur la communauté dans son ensemble. Dans le conflit qui nous occupe, la communauté se ramène à trois "groupes":
  1. Aliesin - à qui nous donnerons la valeur communautaire de 1;
  2. Poppy et les 8 admins opposés au bannissement d'Aliesin (soit 9);
  3. Moez et les 161 autres admins favorables au ban (soit 17).
Avec 3 arbitrages (Moez c/ Poppy; Poppy c/ Moez; Alvaro c/ Aliesin), le CAr a donc par trois fois à décider qui a tort et qui a eu un comportement acceptable. Ce que l'on peut résumer par le schéma ci-dessous:Je pense que c'est assez compréhensible, mais je vais quand même détailler les diverses étapes, en commençant par le bas.

1. Première possibilité: le comportement d'Aliesin (critique agressive mais argumentée) est jugée dans les limites wikipédiennes. Aliesin est content (+1), Moez est désavoué (-17) et Poppy s'en fout vu qu'il voulait simplement que le CAr statue (0)2. Score final: -16;
2. Deuxième alternative: Aliesin a tort, il est sanctionné (-1 pour lui). A partir de là, trois scénarios:
2.1 Moez a eu tort d'actionner le ban et est sanctionné: 17 personnes pas très contentes (-17), 9 plutôt satisfaites (+9). Total = -9;
2.2 Poppy a eu tort de réduire le blocage: -9 pour lui, +17 pour les Moezistes (ou Moeziens). Soit un score de +7;
2.3 Les deux ont eu un comportement répréhensible, le CAr tape dans le tas: -9 et -17 donnent -27 avec Aliesin le puni.

Avec tous ces éléments en main, quelle solution paraît dès lors optimale d'un point de vue communautaire?

Celle qui nous fait dire au revoir à Poppy.



1: Ou 17, je ne sais plus, mais on n'est pas à un près.
2: On devrait en fait mettre +4 pour les admins ayant choisi la relaxe, mais je garde les mêmes chiffres par souci de simplicité de lecture.

Dali et Magritte sont dans un bateau...

On l'a vu précédemment, d'un seul problème on est arrivés à trois arbitrages distincts - chacun avec son approche unique de ce que peut-être le surréalisme:
  1. EL qui lance un méga-arbitrage contre 18 administrateurs, sur la seule base qu'ils aient approuvé la proposition de ban de Moez (actée par celui-ci). Si la proposition avait été rejetée, les aurait-il attaqués de la même façon?
  2. Moez, qui inaugure une nouvelle pratique du bannissement (et pas du blocage) par vote à la majorité simple assigne Poppy, qui a osé réduire ledit ban - une pratique pourtant régulièrement et largement pratiquée en l'absence d'approbation quasi-générale1 vis-à-vis d'une décision administrative (comme ici pour ne citer qu'un exemple vieux de trois jours; et on ne parlera pas des demandes de restauration, où de sinistres individus réclament ouvertement qu'un admin révoque la suppression opérée par un autre admin).
  3. Un troisième cas qui oppose Alvaro à Aliesin, pour la forme je suppose, vu que le Comité d'Arbitrage (CAr) n'a jamais renié un fait accompli2 et que de toute façon s'il y a désormais une question dont la réponse réunit tout le monde, c'est bien "Aliesin a-t-il foutu la pagaille?" D'ailleurs même ce dernier semble accepter d'emblée une sanction du CAr.
Une rapide vue d'ensemble nous donnerait donc ceci:

Salvador Dali, La persistence de la mémoire (1931)3

Sauf que voilà, le Comité se voit donner ici la chance de sortir de l'inutilité dans laquelle sa propre lenteur à statuer le plongeait lentement, puisqu'il se retrouve dans la position d'arbitre final pour chacune des questions que les trois arbitrages soulèvent, à savoir:
  1. Les admins peuvent-ils décider seuls d'un bannissement en l'absence de dégradation du contenu encyclopédique (et donc se passer de la légitimité du CAr pour justifier une telle action)?
  2. Un tel bannissement peut-il être décidé à la majorité simple? (et/ou existe-t-il encore une notion de minorité de blocage?)
  3. Décourager sciemment des contributeurs par une critique dure mais justifiée (au sens qu'une critique injustifiée serait basée sur un argumentaire non-neutre) mérite-t-il une sanction maximale?
Prochain billet: pourquoi la réponse à chacune de ces question est non. Pourquoi le CAr dira oui. Pourquoi tout ça n'a aucune importance à moyen terme.

Mise à jour, visiblement on me lit (ou EL a eu une épiphanie) vu que le méga-arbitrage visé plus haut a été annulé et remplacé par un autre aux dimensions plus raisonnables.



1: Consensus est un gros mot, et en plus il ne veut strictement rien dire.
2: Je le sais bien, j'ai épluché tous les arbitrages.
3: Note aux non-comprenants: c'est un tableau.. surréaliste.

lundi 25 août 2008

Dallas

S'il fallait encore faire la preuve que Wikipédia est un sacré bordel, les deux voire trois arbitrages lancés dans les dernières 24 heures montrent qu'on est encore en-dessous de la vérité.

Résumé des épisodes précédents (un autre aperçu de la situation est disponible ici):

1. Aliesin (représenté ici par J.R. Ewing) décide que certains articles de Wikipédia ne sont vraiment pas terribles, et appose divers bandeaux sur plusieurs articles, dont Paris. Là où le bât blesse (ou pas), c'est qu'il liste les points litigieux mais sans rien faire lui-même pour les corriger.

2. Grosse fatigue de Clicsouris et Maffemonde (tous deux visés à différents stades, tous deux représentés par Pamela Ewing) sur le bistro. Guérilla sur les pages concernées, autour de la rengaine du type "si t'as pas envie de bosser, n'en décourage pas les autres". Un label de qualité tout juste attribué est contesté dans la foulée1. Aliesin revendique son envie de décourager tout le monde, parce que Wikipédia n'est pas fiable. Quelques flingues et invectives sont dégainés sur le bistro: sur Wikipédia comme au Texas, c'est au saloon que tout commence.

3. Irruption du problème chez les admins. L'attitude et la critique non-constructive non-productive d'Aliesin passent de plus en plus mal. En gros, il lui est reproché d'agir gratuitement non pas pour améliorer l'encyclopédie, mais de "brûler ce qu'il a adoré".

4. S'ensuit rapidement une proposition de bannissement - en gros dire à ceux qui bossent qu'ils bossent mal et sans pour autant mettre la main à la pâte, c'est pas bon pour l'Encyclopédie; il faut accepter d'en payer les conséquences. Une petite trentaine d'avis sont collectés, dont les deux tiers (18) favorables au bannissement, le reste étant soit opposé à toute sanction (4), soit préférant déférer le problème au Comité d'arbitrage (5).


5. Le blocage indéfini est acté par Moez (Bobby, même si je ne suis pas sûr que ça convienne) 12h après le lancement de la demande de bannissement. Nouvelle discussion houleuse, la majorité simple est visiblement jugée suffisante pour prendre une décision lourde. La dissidence perd donc ici son rôle de flibuste pour n'être qu'un avis minoritaire (et dont on n'a donc pas forcément à tenir compte).

6. Le bannissement est transformé en blocage d'une semaine par Poppy (je n'ai guère plus que Sue Ellen sous la main), qui recommande d'en profiter pour déférer Aliesin devant le Comité d'Arbitrage. Il est quasi-immédiatement dédit par Bapti, qui rétablit le ban.

7. EL (soit Cliff Barnes, dans le rôle du beau-frère toujours à côté de la plaque) lance un arbitrage généralisé contre les 18 admins s'étant prononcés pour le bannissement. Si les historiens du futur cherchent un jour un exemple de geste plein de bonnes intentions mais contre-productif, ils sauront à qui s'adresser. La requête est évacuée pronto par les arbitres.

8. Moez dépose un autre arbitrage contre Poppy pour avoir agi contre l'avis de la majorité. Clairement un abus de ses outils d'admins, par opposition à, euh, bannir quelqu'un en 12h à la majorité simple.

9. Alvaro (Jock Ewing, dans le rôle du vieux qui ne pense qu'au bien du Ranch alors que tout le monde s'en fout, du Ranch) lance de son côté (ou enfin, c'est selon) un autre arbitrage, contre Aliesin cette fois. Geste assez inutile sachant qu'Aliesin annonce avoir quitté Wikipédia, mais ça se défend vu qu'il est quand même à la source de tout ce boxon. On dira que c'est un jugement par contumace.


Prochain billet: les enjeux dans tout ça.


1: notez, on fait pareil pour les bubus (oui je sais c'est gratuit).

samedi 23 août 2008

Du sang!

J'ai donc un Ennemi Juré Officiel® en la personne de TigH. Le fait qu'on ne se soit jamais croisés sur des articles ou des discussions, que je n'ai rien dit de spécial (autant que je me souvienne) à son encontre lorsqu'il s'est lui-même planté, ne semble pas particulièrement pertinent. Hervé à décidé que mon opposition à un bannissement montrait mon inaptitude foncière à effectuer des renommages de comptes, flagger des bots, et discuter avec les autres bubus des rares candidatures d'administrateurs qui seraient limites (soit celles obtenant entre 66 et 80% de votes positifs, un seuil récemment proposé par Hégésippe qui me semble plein de bon sens).

Bon.

J'ai répondu, mais objectivement je ne sais pas s'il faut en rire, en pleurer, ou simplement passer à autre chose. Une seule chose est sûre, cette affaire n'est à l'avantage de personne (l'encyclopédie je n'en parle pas, visiblement tout le monde s'en fout).

vendredi 22 août 2008

Poulpisé

Nombre d'articles sont créés de manière systématique, sans se poser la question de savoir s'ils ont une signification ou importance particulière. En ce sens, Wikipédia perd son approche synthétique pour devenir une base de données de joueurs de football, petits villages polonais, astéroïdes et frontières terrestres entre les nations (ces deux dernières catégories étant apparemment des spécialités de l'utilisateur:Poulpy). C'est selon moi et à tout le moins un appel au vandalisme, vu que (presque) personne n'ira mettre ceux-ci en suivi ou ne sera même ne sera capable de distinguer une erreur malicieusement introduite. La preuve? Même pour un article aussi important que celui sur Soudan il aura fallu 3 mois avant qu'une IP (!) s'aperçoive que Maxime n'est pas forcément le nom le plus usuel pour un chef tribal du XIXe siècle. Alors pour l'astéroïde (2106) Hugo, pensez donc.

Sauf que voilà, on voit passer des articles et, déformation profess wikipédienne aidant, on se les range dans un coin de la tête en se disant qu'il y a des ébauches à peine ébauchées, et qu'est-ce qu'on pourrait mettre dedans, blablabla. Et puis on part en vacances.

Et puis on s'en souvient, forcément au moment le plus incongru. Le 2 juin dernier à Batugade pour être précis, soit d'après Google maps à 12'893 km de chez moi.

J'avais décidé de prendre de longues vacances pour explorer le Timor-oriental. Plus que l'envie de constater qu'il n'y a pas grand chose à y voir, c'est le périple en lui-même qui fournissait sa propre motivation: de porte à porte, ce furent 11 jours de périgrinations en train, avion, voiture, avion, bemo, ferry, camionette, scooter, cariole à cheval, bus, bateau, 4x4, scooter, avion, et bus encore pour arriver à ce poste frontière qui sépare cette jeune nation de son ancienne puissance occupante, l'Indonésie. Formalités rapides, légère attente le temps que tout le monde passe devant les militaires de service et là je me dis "Je suis suis sûr qu'il y a un article vide et inutile sur cette frontière. Autant prendre une photo pour documenter".

Aussitôt dit, aussitôt fait.

Prochain billet: Comment je suis devenu inclusionniste (ou pas).


lundi 18 août 2008

Pourquoi changer une équipe qui gagne?

Image: Un appareillage d'auto-congratulation disposant d'une main humaine artificielle portée par un bras pivotant suspendu par une prothèse fixée à l'épaule. La main est manuellement mise en et hors contact du dos de l'utilisateur, de manière à lui donner une sympathique ou importante tape dans le dos. US patent 4608967 (1986).

La plupart d'entre nous apprécie probablement l'idée que sa participation à Wikipédia ne se limite pas à la simple rédaction d'une page web listant les objets disponibles dans Pokémon et que, en fait, son dur travail de recherche et de rédaction sera une inspiration pour d'autres. N'est-ce pas gratifiant de s'imaginer en Petit Timonier, guidant les masses incultes vers un monde meilleur fait de partage de connaissances et de je ne sais quoi d'autre plein de bonnes choses dedans?

J'ai, à ma modeste échelle, pu goûter le nectar du succès. Le fait que ça ne m'ait pas fait plus d'effet que ça et que le Popoïsme dont je m'apprête à parler n'est qu'un style rédactionnel sans essence novatrice1 est en fin de compte sans importance. Il se trouve que j'ai eu une bonne idée, qu'on l'a copiée, et que cela prouve donc que c'était vraiment une bonne idée™ (à l'exception des dictatures communistes, peu de mauvaises choses sont copiées à l'identique en ce bas monde, CQFD).

Je veux en fait parler du plan rédactionnel qui semble être devenu la norme dans les articles liés à l'économie. Je l'ai développé lors de la rédaction de l'article sur l'économie du Nigeria en 20052, lui-même vaguement inspiré de Economy of India. Un plan assez standard mais bien structuré, des boites pour chaque thématique et, en filigrane (et idéalement), une histoire qui sert de fil rouge propre au pays visé (la corruption, les ressources, le dynamisme structurel, und so weiter), et hop, voici depuis deux ans et demi la recette qui gagne pour un Article de Qualité (AdQ), en tout cas pour votre serviteur qui a placé (outre le Nigeria) le Botswana et l'Australie - et la Tanzanie quand il se sera bougé les fesses pour le terminer.

Là où ça devient fort, c'est que l'économie de la Tunisie (autre AdQ) a repris ce modèle, ainsi que la RDC (labellisé Bon Article), la Côte d'Ivoire, la Suisse (en bonne voie tous deux pour un label). On retrouve aussi des éléments (notamment la conservation des intitulés) avec la Chine, le Sénégal, la République Tchèque. Si on regarde la dissémination de l'infobox, c'est encore plus répandu.

Mais la consécration vient quand même lorsque le modèle se propage aux autres wikis: voir Gospodarstvo Bocvane en croate par exemple. Je n'ai pas trop d'idée si c'est bien ou mal (on pourrait argumenter que ça tue l'originalité, ou qu'une standardisation empêche l'apparition d'une meilleure structure), mais cette sorte d'émulation interlangue est probablement un côté négligé des AdQ, au sens qu'un contributeur n'ayant pas forcément le temps, l'envie ou les sources pour rédiger un article X ou Y pourra quand même le traduire, et débuter la propagation du modèle rédactionnel sur son wiki.

Je me demande combien d'autres exemples comme ça (hors infoboxes) il peut y avoir.


1: On dirait pareil de Roy Lichtenstein, notez bien.
2: Pour dire tellement c'est vieux, à l'époque les balises de références n'existaient même pas.

samedi 16 août 2008

Ouvrir les yeux

J'hésitais à en parler sur ce blog, que je destinais à des commentaires soit plus légers, soit plus intéressants vis-à-vis du fonctionnement de l'encyclopédie, mais l'élection au poste de bureaucrate qui vient de s'achever a suscité chez moi quelques réflexions que j'aimerais partager et confronter avec kivoudrabien1.

Premier constat: avec 81% de voix "pour", je suis pour l'heure le plus "mal élu" des bubus en place (en tout cas pour ceux qui sont passés par un vote). Ce qui dans l'absolu reste un score très honorable me donne la très légère amertume d'être le Jacques Chirac du vote qui s'achève: on a les modèles qu'on peut.

Plus sérieusement, je pense que plusieurs éléments de base et de campagne ont joué les uns contre les autres dans cette histoire. L'élément "de base" tout d'abord, constaté par les candidats comme nombre de votants:
  • Il n'y avait pas de réel besoin d'un nouveau bubu, même avec les 2 défections récentes de Traroth et Aoieneko. De fait, tant que CK est là pour monopoliser les renommages, un bubu suppléant suffirait lorsqu'il part en vacances: WP:fr aurait donc deux bureaucrates qu'elle ne s'en rendrait probablement pas compte; c'est pour cela d'ailleurs que les quatre dernières candidatures ne se sont pas axées sur cette question mais plus souvent, et plus indirectement, sur celle visant à "huiler" les nominations au poste d'admin.
Les éléments de "campagne" - non pas que j'en ai mené une, mais après coup je me dis que ça aurait simplifié les choses de le faire:
  • Une candidature posée sur un coup de tête, 2 jours après celle de Clem, qui est parue opportuniste (même moi je me suis dit que ça l'était);
  • Une justification de candidature trop "rigoriste"2 ou arithmétique, alors que Wikipédia est basée sur le consensus (ou son illusion);
  • Une wikirencontre comme les Romands en ont 5 ou 6 par an, et où pour une raison qui m'échappe des 7-8 participants usuels (+ guest star) nous sommes montés à 22. Soit 5 personnes qui ont voté ou changé positivement leur vote après cette soirée (je précise que tout le monde n'a pas voté, il n'y a donc en ce sens pas de cabale, mais un simple effet positif des rencontres);
  • Pas de présence sur IRC - on a beau dire ce qu'on veut, je pense là que le repas au Café de la Poste aura été un "IRC IRL" - c'est normal, la conversation reste la meilleure façon d'apprendre à connaître quelqu'un;
  • Une proposition assumée3 sur le BA qui m'aura valu une solide inimitié de la part de TigH notamment, qui a visiblement plus de certitudes que moi sur la façon de bien faire les choses4.
Je ne suis pas doué pour la politique, mais à la lecture de tous ces points, je me rends enfin compte de ce que probablement tout le monde admet comme une évidence, à savoir que pour faciliter une élection il faut:
  1. Identifier un besoin crédible que votre candidature a vocation à combler;
  2. Fréquenter (IRC ou IRL) assez de gens capables de voir que vous n'êtes pas un pervers assassin, et qui constitueront votre "base électorale";
  3. Éviter de dire ce qu'on pense réellement (vu qu'on ne peut pas être tous du même avis, il y aura forcément des oppositions "philosophiques", indépendamment du fait qu'on soit suffisamment apte ou honnête pour gérer les outils);
  4. Éviter de faire des vagues ou, plus généralement et au vu du point précédent, d'agir pendant les mois/semaines qui précèdent (pas de blocages d'utilisateurs enregistrés, pas de contestation, pas de votes en PàS);
  5. Se faire voir d'une manière ou d'une autre, en évitant les écueils précédents, pour éviter les candidatures sorties du néant (post anodin sur le bistro, notice technique sur le BA, etc.)
Ce ne sont pas des conditions sine qua non, c'est évident qu'il faut aussi être un candidat potable, mais je suis persuadé qu'on tient là une bonne recette pour lisser les angles d'un scrutin quand même un peu stressant, et qui le sera tant que les contributeurs de WP considéreront celle-ci non pas comme un simple projet encyclopédique, mais aussi comme un autre endroit où s'adonner (consciemment ou pas) à la politique politicienne. Même si après 2 ans d'adminat on a généralement la peau dure, personne n'apprécie d'être catalogué par des gens qu'il ne connait ni d'Ève ni d'Adam (et dont il a déjà oublié les noms, vu qu'aucun n'a pris la peine de venir lui signifier spontanément-directement-en-personne ses doléances et critiques5).

Sur ce, un grand merci à tous ceux qui m'ont exprimé leur confiance.


1: Il y a peu de discussions liées à Wikipédia dont je ne sois pas ressorti avec une nouvelle façon d'appréhender les choses.
2: Une amie m'a dit un jour que j'étais assez rigide pour être suisse-allemand. J'ai préféré le prendre comme un compliment (elle a précisé que ça ne l'était pas).
3: Et contestable, forcément, y compris par son auteur.
4: A l'exception de les partager. On en a discuté sans changer ni l'un ni l'autre nos positions de fond, mais c'était intéressant à plusieurs titres.

5: virgule

lundi 11 août 2008

Compendium


Fin du feuilleton de l'été, et résumé de ce que nous avons pu voir ces trois dernières semaines en épluchant les archives du Comité d'Arbitrage (CAr): si vous aviez loupé les six épisodes précédents, voici l'équivalent de la saison complète en DVD.

Un premier survol nous a permis de voir que près des deux tiers des requêtes déposées sont déclarées recevables (soit 121 sur 182), et que les arbitres réfléchissent le dimanche pour décider le lundi (25% des décisions). Presque un tiers de toutes les requêtes auront été examinées par le IIe CAr (qui en plus aura été le plus rapide à rendre ses décisions - bravo à eux).

Ensuite, et plus sérieusement, on s'aperçoit que le CAr, surtout dans ses premiers temps, est une affaire d'habitués: le nombre total de personnes jusqu'à présent impliquées (+/- 150) dans un arbitrage est bien inférieur à ce qu'on pourrait attendre (2x121 requêtes=242 parties au moins). En fait, 25% de tous les arbitrages examinés auront concerné (en tant que plaignant ou partie défenderesse) quatre contributeurs (Gemme, Hégésippe, Floreal, Alvaro)1.

Si l'on s'attelle maintenant à comparer la durée moyenne des arbitrages d'un CAr à l'autre, on constate que la moyenne reste assez stable (49 jours, dont 6 pour examiner la recevabilité), quand bien même la disparité entre tous les cas examinés est assez grande (5 jours pour le plus court, 157 pour le plus long). La bonne nouvelle c'est que le Comité mature, et qu'on n'a par exemple plus de requête acceptée par défaut parce que les arbitres ont dépassé les 15 jours requis pour se déterminer sur la recevabilité. La mauvaise nouvelle, c'est que le temps mis à se prononcer ne permet pas d'extrapoler la durée totale de l'arbitrage.

Toujours dans l'idée que le Comité d'Arbitrage est devenu un organisme avec sa propre progression, indépendamment de ceux qui le composent, l'observation de la sévérité des peines rendues confirme que, paradoxalement, la tendance du Comité à durcir ses positions (et abandonner les simples remontrances, offres de médiation ou sursis) se traduit par un recul des départ et abandons du projet. Cette constatation a cependant ses limites, notamment dans le cas du Comité présent, qui a vu un nombre record de départs.


Enfin, troisième composante de l'arbitrage "moderne", les intervenants externes. Ceux-ci sont en fait présents depuis pratiquement le début, mais la pratique ne s'est formalisée qu'au cours du IVe CAr et va encore (on l'espère) évoluer. D'une intervention qui se voulait commentaire de procédure ou extension des débats dans un premier temps, on a doucement glissé vers des témoignages à charge ou à décharge.


Il reste probablement d'autres questions qui méritent d'être posées, et toutes les suggestions sont bienvenues. Je fais confiance à Pierrot pour l'analyse critique de ce que tout cela nous apprend déjà sur l'(in?)utilité du CAr. J'ai pour ma part et en tout cas les idées un peu plus claires, et quelques pistes à explorer pour améliorer le fonctionnement du système s'il veut perdurer et ne pas contribuer à la dégradation de l'ambiance dans laquelle les gens participent.

Il serait par ailleurs bon de prendre un peu d'altitude et d'aller voir ce que font les Comités des autres wikis, en tout cas les plus gros (la version anglophone a par exemple traité presque autant de cas en 2007 (91) que les francophones en 1200 jours d'existence).

1: A une exception près, ça n'aura d'ailleurs jamais été l'un contre l'autre.

jeudi 7 août 2008

Les témoins témoignent

Suite du billet précédent: après les arbitrés, parlons du public1. Les témoignages sont rapidement devenus une partie intégrante des arbitrages. En fait, on s'aperçoit que dès le premier arbitrage lancé, l'un des arbitres se demande où placer les commentaires des non-arbitres; comme quoi, d'emblée, la procédure dépasse la simple confrontation des arguments entre deux parties et s'étend à une fraction (on le verra, grandissante) de la communauté2. Sur 119 demandes reçues à ce jour (en comptant deux arbitrages fusionnés comme un seul), il n'y en aura eu que 13 où personne n'a eu la bonne idée de donner son avis.

La nature des apports a cependant sensiblement évolué: dans les premiers temps, la plupart des interventions se cantonnaient pour l'essentiel à deux champs:
  • soit à des questions de procédure: le CAr débutait, les règles de fonctionnement n'étaient pas très sûres, comme le montre la question sur l'emplacement à réserver à ceux qu'on n'appellera jamais directement "témoins"3;
  • soit à une extension de l'arbitrage lui-même, les parties utilisant la page de discussion pour ajouter ou préciser des arguments à leur exposé initial, ou simplement répondre aux commentaires qui des arbitres, qui de la partie adverse.
Et puis là encore le Comité en tant qu'entité a pris de la bouteille, les usages se sont établis, et on est passé à une section de témoignages non plus sur le fond de la question ou la forme de la procédure, mais directement sur les intervenants eux-mêmes. L'élément déclencheur aura probablement été Gemme qui, ayant réussi à rentrer en conflit avec un nombre appréciable de personnes, aura permis à chaque nouvel arbitrage de servir de cahier de doléances: la formalisation de la section "témoignages" apparaît alors qu'il accumule les requêtes à son encontre.

Image: nombre moyen de témoignages ou avis exprimés par des tiers lors d'un arbitrage. La section "Témoignages" prend sa forme actuelle au cours du IVe CAr.

J'imagine que cette "belle" progression est le reflet de deux phénomènes distincts, à savoir:
  1. le nombre de contributeurs augmentant, le nombre de personnes pensant utile de partager leur opinion progresse linéairement;
  2. le manque de règles claires quand à ce qui distingue un témoignages utile d'un simple déversement de fiel ou de l'énoncé d'une évidence ("cet arbitrage est pathétique") dont tout le monde se tamponne.

1: Crédits à Serein pour s'intéresser au devenir des arbitrés, et à Pierrot pour m'avoir donné l'idée de regarder du côté des témoignages.
2: Voir même plus loin, puisque même un des frères Bogdanoff a jugé bon de venir donner son avis.
3: dès l'institutionnalisation du procédé, la rubrique ad hoc s'est intitulée "témoignages" et pas "témoins". Même lorsque les arbitres y font référence, le terme de témoin n'est pour ainsi dire jamais utilisé.

mercredi 6 août 2008

Le Machin

Le Comité d'Arbitrage est l'institution wikipédienne qui se rapproche le plus d'une institution "de la vraie vie" (le tribunal). Eh bien si Wikipédia était un pays et que le CAr était son système judiciaire, on s'apercevrait que les tribunaux de Wikipédie prononcent des peines fermes moins d'une fois sur deux, que 15 à 50% des intimés sont abattus par la police quelques semaines après leur condamnation ou relaxe (d'ailleurs un quart des affaires visent ces mêmes policiers, assignés une fois sur cinq par leurs propres collègues soit dit en passant); et que 10 à 15% des parties -plaignants et défendeurs mélangés- se suicident pendant ou peu après le jugement.

J'avoue qu'à première vue, c'est un peu déprimant.

Mais lorsqu'on s'approche, on s'aperçoit que le Comité d'Arbitrage, alors que ses membres changent, eh bien il mûrit:

Image: En bleu (échelle de gauche), le nombre de condamnations fermes (blocages ou désysopages; peut dépasser 100% si plaignant et défendeur sont bloqués) sur le total de cas examinés; en rouge (échelle de droite), le pourcentage de parties quittant Wikipédia pendant ou à l'issue de l'arbitrage.

On peut facilement voir grâce au graphique ci-dessus que:
  1. Le CAr montre une nette tendance à durcir ses décisions; et
  2. Le nombre de départs est inversement lié au nombre de décisions fermes.
Mon interprétation est qu'on est graduellement passé du statut de Comité d'arbitrage à celui d'instance décisionnelle, voire judiciaire. Cela se voit par exemple dans le fait qu'elle est la seule à décider de désysopages alors qu'il est théoriquement possible de passer par un vote communautaire. Ce durcissement pourrait répondre
  1. à un échec, celui des sursis ou des peines limitées (la plupart des bannis ont auparavant été interdits d'édition ou révocation sur quelques articles);
  2. à une demande des plaignants et défendeurs, qui s'accommodent finalement mieux d'une décision claire de la part de tiers plutôt qu'un "démerden Sie sich" qui ne fait qu'augmenter les frustrations.
Sauf que si tout était beau au royaume de l'Arbitrage, cela se saurait. Si l'on prend maintenant en compte le nombre record de contributeurs (et des sérieux) ayant quitté l'encyclopédie lors du Comité en cours, on aurait un graphique qui correspond plutôt à ça:


Et quand je vois un tel graphe, je me dis qu'on a quand même un problème.

lundi 4 août 2008

Suite statistique

L'arbitrage moyen dure donc 49 jours, dont 6 pour la seule déclaration de recevabilité, une durée étonnamment consistante d'un Comité à l'autre (avec la notable exception des 1er et 2e Comités, qui posent les extrèmes avec respectivement 72 et 38 jours). Autre point intéressant, le nombre de requêtes déposées ne semble pas influer de manière décisive sur le temps nécessaire pour atteindre une décision (Korrigan l'avait déjà laissé penser, ça se confirme).

Image:Durée moyenne des arbitrages (barres, avec en bleu l'étude de recevabilité), ainsi que le nombre traité (points) par chaque Comité d'Arbitrage.

Le pourcentage de requêtes déclarées non recevables oscille entre 20 et 47%, mais là aussi la recevabilité est autour des 6 jours (4 pour le 2e CAr, 9 pour le 4e). Tous ces jolis chiffres cachent quand même quelques extrêmes: si un seul cas a pu être traité en moins de 5 jours, 8 requêtes auront dépassé les 100 jours (avec un record à 157). Aucune d'entre elles n'étant située en fin de mandat, il faudra songer à une autre explication que l'usure des arbitres.

Ce qui m'intéressait plus, c'était quand même de voir s'il était possible de prévoir la durée d'un arbitrage en fonction du temps mis à le recevoir (le cas échéant) - cela aurait pu être une info utile pour les parties, histoire de leur donner une vague idée de ce à quoi s'attendre. La réponse est, malheureusement, un "non" clair et net. Certains cas, déclarés recevables en 24h, n'auront pas été traités avant 5 à 7 semaines alors que d'autres, reçus "par défaut" (15 jours ou plus après le dépôt; faute de majorité des arbitres s'étant prononcés le réglement prévoit que le cas est automatiquement reçu) ou proche de la limite, sont expédiés avec des délais au final assez similaires. Et la réciproque est vraie: 3 des arbitrages "centenaires" auront été déclarés reçus en 5 ou 6 jours.

Prochain épisode - les arbitrés: quel pourcentage des cas s'est-il soldé par une sanction effective? Combien sont partis avant la fin? Et (le nombre m'a surpris) quelle fraction des 120 requêtes examinées visait un ou des admins?